mardi 30 mai 2017

Mon Inconnu [J'ai écrit]

Ça fait deux heures que je l’observe. Je bois lentement mon énième coca, mes cours étalés sur la table du café. Je le regarde attendre sur son banc depuis deux heures. Je ne sais pas ce qu’il attend ou plutôt qui il attend, mais il est patient. A chaque regard qu’il croise, il amorce sa levée, un grand sourire anxieux aux lèvres, prêt à offrir le bouquet qu’il tient fermement. Mais à chaque fois ce n’est qu’une désillusion de plus.
Malgré tout, il l’attend depuis deux heures. Certainement une rencontre sur internet. Je devrais m’y mettre, c’est une façon simple et décomplexée de faire des rencontres. Mais pour le moment, je trouve plus ou moins facilement mon bonheur dans la nature.
Il a l’air si perdu perché sur son banc, mon inconnu. Il s’est apprêté pour l’occasion, petite chemise, veste repassée et barbe rasée de près. Peut-être qu’il a loupé le coche : elle est venue, l’a vu et son air dandy lui a fait faire demi-tour, lui, ne l’a même pas remarqué.
Je ne sais pas si je le laisse encore attendre indéfiniment que quelqu’un vienne, si je le libère en lui disant qu’elle ne viendra jamais, ou si je me fais simplement passer pour elle, il ne sait certainement pas à quoi elle ressemble.
Je range mes affaires et l’observe encore quelques instants avant de me décider. Il a l’air quelque peu fluet, fragile mais plus dégourdi que les toxicos et poivrots des soirs d’hiver.
Je me lance, je me déciderai une fois devant lui. Je traverse la rue et m’avance vers lui, lorsqu’il me regarde, je lui souris niaisement. Mon stratagème fonctionne puisqu’il se lève et s’avance vers moi en me tendant son bouquet. « Kim ?
Non, désolée, ce n'est pas moi. Je pense qu’elle ne viendra pas. »
La déception se dessine sur son visage. Je tente de le réconforter avec quelques banalités, je le fais sourire en lui disant que c’est peut-être mieux qu’elle ne soit pas venue, ça nous a permis de nous rencontrer.
Ces phrases toutes faites me révulsent, mais il faut avouer qu’elles font leur effet.
On discute, et plus je l’écoute, naïvement, plus il me plait. Il fait bouillonner en moi des émotions bizarres.
Le temps passe, l’heure du dîner se fait sentir quand mon estomac grogne. Il me propose chaleureusement qu’on aille quelque part. Je suis quelque peu anxieuse, les choses se déroulent naturellement et d’une façon totalement inédite.
A table, il continue de me parler de sa vie et me questionne sur la mienne. Le repas se passe merveilleusement bien, même si manger fait naître en moi des désirs irrésistibles. J’ai un appétit d’ogre, je sais ce que cela annonce. Je ne vais bientôt plus pouvoir me contenir. Pour la première fois j’ai peur de montrer à quelqu’un ce que je suis réellement.
J’essaie de manger lentement pour contenir mon désir, pour ne pas me laisser déborder. Il faut apprécier l’instant, ne pas se précipiter et tout engloutir en une bouchée.
Plus le repas avance, moins je me tiens. Rester attentive à ce que mon inconnu me raconte devient difficile. Je fixe ses mains, elles sont fines et grandes, mon regard remonte, son torse est large mais pas très musclé, mes yeux s’arrêtent sur ses lèvres pleines, il les lèche de sa langue lorsqu’un peu de sauce les éclabousse.
Je suis totalement hypnotisée par sa bouche en mouvement, le temps se ralentit, les sons autour de moi s’estompent comme si je plongeais la tête sous l’eau. Je me perds dans sa déglutition et un frisson m’envahit quand il avale sa bouchée. Mes envies m’enivrent totalement, lorsqu’il me touche le bras et me propulse violemment dans la réalité.
Les desserts arrivent, j’essaie de ne pas m’y jeter à pleine bouche, mais je n’ai qu’une envie, l’engloutir et m’enfuir. Il me pourchassera et je deviendrai la proie.
Même si ce jeu me plaira, je reste patiente. Entre chaque bouchée je bois une gorgée d’eau, j’essaie de noyer ma faim.
La fin du repas arrive trop lentement, mais enfin on quitte le restaurant.
Dans la rue, je marche vite, je n’en peux plus, je n’arrive plus à me contenir. Je tiens fermement la main de mon inconnu et le traîne derrière moi. Lorsqu’on s’est assez éloignés des rues bruyantes, je ralentis enfin le pas.
Hors d’haleine, il me demande ce qu’il se passe, où je l’emmène. « Un coin tranquille. » Il aurait préféré qu’on aille chez lui, mais je n’aime pas l’intimité gênée qu’entraine les appartements. Je préfère ses ruelles, je les connais par cœur, elles sont devenues mon territoire.
Je le colle contre le mur. Il respire fort, et semble perdu. Après une hésitation, il tente de m’embrasser, je le laisse faire. Il s’y prend comme un manche. Je le repousse. Alors que je détache les boutons de sa chemise, il saisit mes mains : « c’est la première fois. » Je m’en doutais, mais ce n’est pas le premier pour moi. Je le rassure, je saurai le guider.
Je l’asseois sur un rebord de mur un peu plus loin. Je m’installe sur ses genoux, et le tiens fermement adosser au mur. Je l’embrasse. Je sens son cœur battre contre ma poitrine, et son sexe gonfler entre mes cuisses.
J’adore cette sensation avant l’acte. Le plaisir qui grandit, le désir qui ne se tient plus, les frissons qui recouvrent la peau.
Alors qu’il passe ses mains frêles sous mon t-shirt, je saisis brutalement sa lèvre inférieure entre mes dents et sens le goût cuivré du sang emplir ma bouche. Je passe ma main sous mon pantalon au niveau de ma cheville et saisis ce qui s’y cache. J’agis vite sans vérifier que je le fais bien et le plaisir explose en moi.
Il a un mouvement de recul, et se heurte aux murs derrière lui. Le liquide rubis et chaud jaillit et asperge mon visage. Mon inconnu tente de porter ses mains à sa gorge, je l’en empêche sans grande difficulté, la peur l’a vidé de toutes ses forces.
Je l’embrasse et me serre tout contre lui en le forçant à s’agripper à moi. Il se débat quelques instants avant de sombrer dans l’inconscience. Je sens son cœur ralentir et ne devenir plus qu’un souffle sourd. Quand toute vie a enfin quitté son corps, je dépose un baiser sur ses lèvres encore chaudes avant de l’abandonner.

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