lundi 5 juin 2017

Elle [J'ai écrit]

Je m’étais habituée à cette nouvelle vie, métro, boulot, dodo. Je ne m’étais pas préparé à ce qu’elle surgisse du passé.
J’étais occupée à autre chose, sans aucun rapport avec elle, je ne pensais même pas à elle, mais lorsque mon téléphone sonna, cela changea la donne.
Elle n’eut pas grand-chose à dire. Elle avait des problèmes. Je laissai tout en plan et je pris la voiture sans réfléchir, je partis pour cinq heures de route.
Je me souviens de notre première rencontre, j’étais partie en vacances dans une villa au bord de la mer, j’avais fait sa connaissance lors d’une soirée. Léa. Son nom me fait encore frissonner aujourd’hui. Tous les hommes tombaient sous son charme, petite brune, au visage illuminé par ses tâches de rousseur. Elle avait l’allure et le comportement d’une femme-enfant : insouciante et jouant de tous ses charmes.
Moi, je la trouvais juste sympa. A l’époque, jamais je n’aurai pensé être attirée par une femme.
Seule dans ma voiture, je souriais, pleurais, m’énervais. Elle m’avait fait passer par tant d’émotion. Elle avait réveillé en moi quelque chose que j’avais tant tenté de refouler. J’avais 23 ans à l’époque, et elle était mon premier amour.
J’avais cru aimer avant elle, mais il n’en était rien. L’amour n’a rien à voir avec la sympathie, la simple affection. L’amour n’est pas tendre, il est violent, brûlant, destructeur. L’amour n’est tendre que lorsqu’on rend les armes et qu’on se laisse entièrement dévorer. Avant cela, ce n’est qu’un combat, un corps à corps dont on sait que l’on sortira perdant.
Je ne l’avais même pas senti venir. On passait beaucoup de temps ensemble. On allait de soirées en soirées, on buvait et se droguait toujours plus.
Notre premier baiser, n’en fut pas un, c’était un geste insignifiant. Elle sauta dans mes bras et déposa un baiser sur le coin de mes lèvres pour une réussite quelconque.
Ce n’était pas grand-chose, mais c’est comme si je sentais mon cœur battre pour la première fois, j’eus l’impression que le temps avait ralenti pour me permettre d’apprécier chaque particule de cet instant anodin mais magique.
Je n’envisageais pas pour autant autre chose qu’être son amie. Jusqu’au soir où on plongea tout habillées dans une piscine, juste pour le délire. On jouait comme des enfants, jusqu’à ce que nos deux visages se retrouvent à quelques centimètres l’un de l’autre. Mon regard alla de ses yeux verts à ses lèvres pleines, mon cerveau tournait tellement vite que j’avais l’impression de ne plus penser à rien.
Je me laissai emporter par l’instant et déposai mes lèvres sur les siennes en m’agrippant à sa nuque. Elle me rendit mon baiser pendant quelques secondes avant de me repousser en me disant qu’elle n’était pas homo. « Moi non plus ! Répondis-je, et en plus je suis défoncée, mais j’en fais pas toute une histoire. »
Elle prit un instant pour réfléchir à cette argumentation sans queue ni tête et y adhéra. Elle m’embrassa à son tour, et ce fut comme si mon corps, mon cœur se remplissaient pour la première fois de vie.
Avant son appel, je n’avais plus eu de nouvelles pendant deux ans, on avait cessé de se parler après une dispute sur nos sentiments non partagés. Notre relation n’avait pas survécu à cette idylle. Ce n’était pas ni la drogue, ni l’alcool qui me faisaient agir ainsi, même sobre, j’étais ivre d’elle. Alors qu’elle ne m’aimait que les veines remplies de poison.
J’avais rêvé qu’elle vive une vie simple avec petit copain et futur bébé et qu’un jour au hasard d’une rue on se croise et que l’amour serait plus fort que tout le reste.
Ce rêve était loin. Elle n’avait pas de vie paisible, juste des problèmes.
J’arrivai à son adresse. Un amas de préfabriqués et de mobil home, rien de très glamour pour nos retrouvailles. Je frappai à la porte, le cœur tambourinant à mes tempes.
Quand elle m’ouvrit, j’eus l’illusion de voir la même femme-enfant que deux ans auparavant. Puis d’une voix tremblante et usée, elle me demanda d’entrer et je me rendis compte qu’elle avait été complètement brisée par la vie.
Son corps était squelettique, recouvert de bleus et d’égratignures, lorsque mon regard se posa sur la plaie purulente au pli de son coude, elle tenta de la dissimuler, c’était certainement là où elle se piquait.
Pendant que nous mangions dans un restaurant elle me raconta tout en épiant toutes les personnes qui la jugeaient du regard. Elle sursautait au moindre bruit et se forçait à manger quelques frites.
Elle voulait s’en sortir et tout arrêter avant que la drogue ne la détruise totalement. Son dealer n’était pas du même avis, il venait quand elle était en manque, la frapper, la violer avant de lui donner sa dose.
Elle n’avait pas la force de porter plainte. Je ne pouvais que prendre contact avec une assistante sociale pouvant l’aider. Je ne pouvais rien faire de plus.
Lorsque l'on retourna chez elle, elle me prit dans ses bras pour me remercier. Ce fut le premier contact physique qu’on échangea depuis mon arrivé.
Je ne pus m’empêcher de la toucher. Mes doigts se heurtaient aux os trop saillant de son doux visage. J’embrassai ses lèvres sèches, elle ne me repoussa pas, elle semblait avoir attendu ce moment autant que moi. Alors qu’elle se retrouva nu devant moi, je constatai toutes les marques laissées par la drogue, l’alcool, les coups… Malgré tout cela, je la trouvais belle, magnifique.
Je n’étais pas sûre de ne pas rêver. Nos deux corps nus s’étreignaient sur le vieux matelas. Je lui fis l’amour et son regard semblait reprendre vie. Lorsqu’elle mordit sa lèvre inférieure, c’est comme si ces deux ans n'avaient jamais existé, comme si je n'avais connu qu'elle.
Au milieu de la nuit, je me réveillai.
Elle était allongée de tout son long sur moi, telle une couverture gelée… La couverture de la mort.
Je me dégageai, me rhabillai.
Debout au seuil de la porte, je la regardai une dernière fois, elle semblait dormir paisiblement.
Je franchis la porte, tout ça n’était déjà qu’un pâle souvenir, tout comme sa vie…

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